Coat Of Arms

Sabaton est un grand groupe. Un combo fougueux, puissant, charismatique. Après l’exploit « The Art of War », qui avait considérablement marqué les esprits en 2008, le quintet se devait de confirmer tout le bien qu’on pensait de lui. Il a donc pris son temps avant de proposer un nouvel opus. L’année 2009 fut malheureusement la première année depuis 2005 où Sabaton ne publia aucune sortie. Mais attention, ce n’est pas pour autant qu’il demeura inactif ! Pendant près de deux ans, nos gaillards sillonnèrent sans répit les routes d’Europe, faisant hurler en chœur, le poing brandi, des milliers de métalleux qui purent sentir leurs cœurs vibrer en écoutant à plein volume ces riffs d’aciers et ces refrains fédérateurs, hymnes Heavy Metal d’une puissance rarement égalée, interprétés avec une énergie et un enthousiasme chaque jour renouvelés.


Evoluer est un risque, mais c’est bien souvent un mal nécessaire. Sabaton, quoique parfois trop proche de ses aînés (la découverte de quelques riffs pompés ci et là à des formations cultes a considérablement peiné mon cœur de fan ultime), a clairement déposé sa marque mélodique, inchangée depuis le glorieux « Primo Victoria ». En 2008, « The Art of War » voyait le bataillon s’essayer à des sonorités nouvelles, se parer d’influences différentes, placer le clavier plus en avant dans sa musique. En 2010, Sabaton désire prouver sa maturité et semble avoir à cœur de montrer qu’il mérite sa fulgurante ascension, qui l’a récemment conduit à signer avec Nuclear Blast, l’empereur des labels pour le Heavy Metal actuel.

Là aussi, le fan fronce les sourcils. Bien sûr, il est enthousiaste à l’idée de voir son groupe préféré enfin disposer de moyens conséquents et du soutien intégral d’une structure solide et bien rodée. Mais il craint aussi la perte de crédibilité ou la baisse de qualité qui accompagne bien trop souvent ce genre d’évènements. Le format de l’album, bien plus conventionnel que le précédent (qui, rappelons-le, présentait un concept), avec des titres ne dépassant jamais les cinq minutes, tend à confirmer ces légères appréhensions. Inutile d’épiloguer, maintenant que nous avons l’objet entre nos mains, autant entrer directement dans le vif du sujet.

En clair, Sabaton évolue, et fait de mauvais choix. « Coat of Arms » voit le combo multiplier les sonorités kitschs, alourdir ses excellentes compositions de passages synthétiques décevants, donner à ses chœurs une dimension symphonique trop ampoulée pour être honnête…Bref, s’engager sur une voie où personne n’aurait pu l’attendre. Une voie, si j’ose dire, sans issue, ou en tout cas, sans issue positive.

Bien sûr j’exagère, mais la surprise est de taille ; la production n’est pas foncièrement différente de celle, irréprochable, de l’opus précédent – Peter Tatgren est une nouvelle fois aux manettes – mais la manière de penser le clavier est radicalement opposée. L’écoute des quinze premières secondes de certains morceaux est terrifiante. Comme si Sabaton était allé piocher dans d’obscurs projets new age des années 80, hypothétiques formations oubliées – et qui mériteraient bien de le rester.

En fait, tout dans cet opus ramène aux années 80. La section Metal elle-même, et ces fameux claviers, auxquels on devra faire l’effort de s’habituer pour pénétrer l’univers de « Coat of Arms ». Une fois passé ce premier (rude) choc, l’opus peut maintenant délivrer ses richesses, bien réelles. Vous vous en doutiez, ayant vu ma note… Note qui reflète bien une vague déception, mais qui atteste quand même d’une très bonne qualité musicale : Sabaton a beau faire quelques choix artistiques discutables, son talent finit toujours par transparaître, et certains passages nous rassurent grandement. Si cela n’avait pas été Sabaton, l’album aurait pris 8 sur 10 et les compliments du chef ! Seulement voilà, être fan ne veut pas dire tout laisser passer, au contraire…. L’excellence rend exigeant !

Sur le plan technique, la performance délivrée est admirable, comme toujours. « Coat of Arms », malgré son introduction synthétique kitschouille sans grande saveur, est un morceau certes prévisible, mais fédérateur et surpuissant comme le sont toujours les titres éponymes du groupe. Un hymne typiquement Sabatonnien, avec un refrain accrocheur à souhait, soutenu par des chœurs donnant un effet symphonique très réussi. 3 minutes trente secondes plus tard, et l’on souffle de soulagement et de béatitude : Sabaton is back ! Voilà un morceau qui fera malheur en concert. De plus, quelques petits effets de guitare inattendus ça et là viennent encore relever la sauce. Comment résister ?

Puisque j’évoque les guitares, je me dois de développer ce qui est l’un, voire LE plus gros point fort de l’album. Les riffs et rythmiques sont très variés d’un titre à un autre, et la paire Montelius/Sunden n’a jamais semblé si inspirée au niveau des soli. « Coat of Arms », « Metal Ripper » et surtout « Wehrmacht », avec ses jouissifs doublages à la tierce, contiennent peut-être les meilleures performances mélodiques de nos gratteux nordiques. Un vrai bonheur. La batterie, en bonne machine de guerre, dispose d’une réverbération énorme, la basse est parfaitement en place, et la voix de Joakim Broden est toujours aussi magnifique. Virile, prenante, avec cette conviction, cette façon de rouler les « r » caractéristiques… L’homme au gilet pare-balles confirme son statut d’extraordinaire vocaliste du Heavy Metal.

Pour ce qui est des morceaux eux-mêmes, si l’on oublie ces claviers envahissants, il y a beaucoup de titres solides sur cet album. Saluons notamment l’effort général de composition ; bien que les chansons soient courtes, toutes contiennent des breaks ou des soli qui renouvellent soigneusement l’attention et attestent du travail de longue haleine du combo sur la forme de ses travaux. Au rang des « classiques », citons « Coat of Arms », évidement, « Aces in Exile », très bonne, assez proche de « 40-1 » dans l’esprit, qui commence directement sur des chœurs menés par Joakim, avec des rythmiques qui rappellent fortement l’époque « Primo Victoria » ; « Saboteurs » (quel refrain !), « Screaming Eagles », plus redoutable encore avec son tempo plus enlevé, et son aspect direct, ou encore « Uprising ». Ce titre, qui traite une nouvelle fois des combats menés en Pologne lors de la Seconde Guerre Mondiale, est une vraie réussite : un très beau mid-tempo, chargé d’ambiances vengeresses et évocatrices embellies par de belles voix féminines, qui gagne énormément au fil des écoutes. Un croisement entre des titres plus lents comme « Rise of Evil », avec sa ligne de basse prépondérante, « Unbreakable » et « Purple Heart ».

Quant aux deux titres conclusifs, il s’agit là de semi-surprises. Car s’ils diffèrent du répertoire traditionnel de Sabaton, ils délivrent sans cesse l’impression agaçante de recycler des morceaux des années 80. « Metal Ripper » reprend l’introduction du « Ripper » de Judas Priest en clin d’œil, mais le morceau prend ensuite une veine hard FM qui fait tout de suite penser à Scorpions, AcceptSceaming for a Love-Bite »), etc. Impression assez désagréable, qui devrait moins déranger ceux qui n’ont pas un background trop important en matière de heavy, mais qui devrait refroidir les puristes. Encore plus frustrant sur « White Death », qui est vraiment efficace, mais encore une fois, manque totalement d’originalité.
Dommage, car ces titres sont loin d’être mauvais en eux-mêmes… Le genre aurait-il déjà tout dit ?

Au rayon des « surprises » maintenant, citons déjà l’étonnant second titre « Midway » qui m’a pris de court, mais s’est finalement imposé comme l’un de mes coups de cœur de l’album. La première moitié du morceau, très synthétique, avec une voix chargée d’effets robotiques de Joakim, évoque un croisement entre metal et new wave typée 80’s, tandis que la seconde nous cloue au sol grâce à ses chœurs guerriers qui offrent des lignes vocales recherchées et novatrices. Une bien belle surprise, donc, qui montre que Sabaton peut parfois habilement tirer partie de sa nouvelle direction musicale. « Wehrmacht » est plus surprenante encore. Jamais un morceau du groupe n’aura sonné si martial ! Après une introduction typée Metal indus’ ( !!)  qui m’évoque fortement le groupe allemand Crematory, des chœurs plus virils qu’à l’accoutumée et rythmiques saccadées se succèdent… Un morceau vraiment particulier, qui contient d’excellents passages, mais que j’ai des difficultés à appréhender. Terminons enfin par le clou de l’opus, la magnifique « The Final Solution », dont les paroles, poignantes, traitent du génocide juif. A la manière d’un « Price of a Mile » sur « The Art of War », Sabaton démontre de manière brillante sa capacité à émouvoir sans jamais tomber dans la mièvrerie des power ballads plates que l’on trouve si souvent dans les recueils du genre. Un titre majestueux, rempli d’émotions, servi par des lignes vocales sublimes, qui devrait filer des frissons en live. Chapeau !


En bref, pour conclure cette trop longue chronique… Sur « Coat of Arms », quand Sabaton se montre fidèle à lui-même, il reste probant, même si les tics mélodiques récurrents du groupe semblent indiquer qu’il a déjà fait le tour de son sujet ; quand Sabaton tente d’évoluer, il peut proposer de grands moments, mais alourdit la musique avec des sonorités synthétiques de mauvais goût ; enfin, quand Sabaton va « plus loin », il démontre finalement que son Heavy Metal a encore de bien belles choses à dire, et que son concept guerrier n’a pas fini de fasciner son auditoire. Verdict : une sortie majeure de l’année, et pourtant… Une petite déception. Oh bien sûr, on se laisse parfois emporter par cette conviction, cette passion, cette capacité inouïe à nous immerger dans ce heavy metal en acier trempé, mais… Doit-on déjà, après quatre albums, s’exclamer : « c’était mieux avant ? » Espérons qu’à l’avenir, le groupe nous épargnera ces sonorités kitschs, pour mieux nous abreuver du heavy viril et sans fioriture qui a fait sa gloire. Mais qui sait, peut-être serez-vous moins rebutés que moi et accrocherez directement à cet album, qui, loin d’être mauvais, se révèle de plus en plus plaisant au fil des écoutes ? Amis lecteurs, la balle (l’obus) est dans votre camp !


Gounouman