L’histoire de l’album Jugulator paru en 1997 est peut-être celle de l’album le plus attendu de la grande et magnifique carrière de Judas Priest (si tant est qu’un album du Priest ne soit pas attendu). C’est en effet l’album du retour du quintet légendaire de Birmingham, l’un des créateurs du Heavy Métal, l’une des usines à tube les plus métronomiques du milieu et l’une des influences les plus incontournables du genre (et on pourrait continuer d’aligner les superlatifs sur une bonne dizaine de pages). Rappelez-vous après le succès monumental de l’album Painkiller paru en 1990, Rob Halford, le Métal God avait décidé de quitter le prêtre de Judas pour se consacrer à des projets plus personnels et différents ce qui avait constitué un traumatisme immense au côté duquel le divorce des Four Non Blondes pouvait être considéré comme une broutille de soixante douzième ordre (et pourtant !! :p)
Sans chanteur, le guitariste Glenn Tipton avait bien sorti un disque solo Baptism of fire très sympathique (avec la participation de Feu Cozy Powell) en 1997 et enregistré la matière d’un second opus Edge of the world) paru bien plus tard, mais cela faisait un poil juste pour les supporters de ce monstre sacré du métal surtout que la multiplication de compilation et autres best of (dont le grand double cd et VHS Métal Works) pouvaient laisser craindre une fossilisation à la Kiss de la légende. Mais voilà, c’était le temps où heavylaw n’existait pas encore :( , les nouvelles nous parvenaient au compte goutte uniquement par la presse spécialisée (alors assez conséquente dans notre beau pays), le groupe n’a jamais eu l’intention de splitter mais comme l’avouait à l’époque Tipton, il a fallu sept ans au groupe pour trouver un successeur de carrure pour oser remplacer l’icône du métal. Sept interminables années et quelques controverses semble-t-il puisque selon Ralph Scheepers celui-ci a un temps été pressenti grâce au soutien de KK Downing et de son épouse (point pas confirmé à ma connaissance par l’immense deuxième guitariste du groupe). Néanmoins on comprend aisément l’ampleur de la tâche pour le groupe, dénicher l’oiseau rare fut une gageure enfin comblée en 1996 par l’arrivée de Tim « Ripper » Owens. Voix assez proche de celle de Rob, Owens étant un fan absolu du Priest, il a même pris son pseudonyme en hommage à un des classiques du groupe (paru sur Sad wings of destiny). Sa nomination dans le Priest, lui qui était quasi inconnu jusque là et qui officiait dans des groupes de reprise priestien, fait un peu figure de conte de fée métallique. Cette histoire sera d’ailleurs reprise plus ou moins fidèlement dans le film Metal God.
Jugulator inaugure ainsi la troisième période du Priest (après le début Hard Rock psychédélique des 70 et la monumentale période métallique Halfordienne )qu’on peut rétrospectivement appeler « l’ère Ripper ».
Ce disque relève de la volonté assez évidente d’afficher un visage moderne fait d’un métal qui tend à s’imprégner des nouveautés plus rugueuses alors en plein essor : les titres penchent vers le métal indus (intro bruitiste et mécanique de Jugulator, riff reznorien sons stridents d’Abductors) et le death (regardez cette set list !! On pourrait croire à un album de Cannibal corpse : Dead meat, death (tiens encore ! :p) raw, Brain dead, decapitate….) ; Glenn Tipton, principal compositeur de cet opus, l’affirmait volontiers à l’époque, il s’était ouvert aux influences du milieu des années 1990 notamment grâce à son fils adolescent qui écoutait dans la maisonnée familiale du death (il semblerait que l’écoute de ce genre soit très répandu chez les pré-pubères !! :p). Ce virage est assez bien fait même si on peut être en droit d’attendre plus de finesse d’un tel groupe, ou en tout cas, plus que ce bruit de sabre qui claque l’air sur Decapitate ou ces pulsations d’encéphalogrammes sur Brain dead. En tout cas le retour de Judas Priest est tonitruant comme si le groupe avait à cœur de prouver qu’il n’était pas une assemblée de papys nostalgiques du temps révolu des années 80 (les résolument modernes Blood stained et Death Row).
Il en ressort des compositions massives avec des riffs lourds (Abductors), plombés (Dead meat, Bullet ..), et incisifs. Les titres sont tous assez agressifs et froids (surproduits ??) ce qui donne à l’album une tonalité assez monochrome. Heureusement, la voix de Ripper est phénoménale, il sait monter aussi haut que Rob (le Jugulator Tour auquel votre fidèle serviteur assista en témoigne) mais il apporte aussi avec lui cette façon de chanter presque râpée qui dynamise les titres (on retrouve ce type de chant sur Metal messiah de Demolition dernier album où il figure). Les titres sont ainsi très interactifs (Dead Meat, et le grand Bulllet BULLLET Bullet train), sommets d’efficacité de l’album tout en n’excluant pas (et c’est tant mieux) les envolées stridentes qui ont fait la gloire du groupe(Jugulator, Cathedral spires….)
Cependant, Jugulator se doit aussi de rassurer les fans et de glisser ça et là quelques clins d’œil appuyés au passé. Le titre éponyme Jugulator, monstre effrayant apparaissant sur la pochette (en zoom pixelisé exécrable alors que le dessin naturel et grandeur nature du livret est magnifique), rappelle la longue galerie des personnages fantastiques qui ont constitué les hymnes du groupe (The Ripper, the Sentinel, Painkiller (l) ou le plus récent Angel of retribution). Quelques concessions au passé sont présentes aussi dans les soli, même s'ils sont plus concis, ou dans le souffle épique qui imprègne Cathedral spires et ses faux airs de Victim of change (quelle voix, quel titre !!!) mais c’est surtout la voix de Ripper qui se pose en fil conducteur qui perpétue la prestigieuse carrière du groupe.
Jugulator est donc une parenthèse agressive et jeuniste de Judas Priest. Un album très moderne qui marque le retour du Priest aux affaires même s’il ne satisfera pas les défenseurs intransigeants de Rob Halford.