La Russie… Gigantesque étendue de terre occupant presque la moitié du continent asiatique avec sa froideur caractéristique d’un climat aride. A l’initiative de l’apparition de courant d’idées nouvelles, elle a été menée, planifiée et puis bouleversée par des régimes politiques et des contextes économiques difficiles, l’image du pays souffre encore d’une succession d’événements défavorables depuis ces dernières années. Depuis la guerre froide, les têtes pensantes n’ont pas concrètement su faire émerger cette ancienne puissance. Mais depuis quelques années la Mère Patrie donne naissance à des groupes musicaux désirant parler de la froideur perpétuelle et de la fragile stabilité en place ou d'exprimer la souffrance collective. De nouvelles interventions sont proposées et les formations tentent de faire partager leurs émotions. Arcanar fait partie de ces groupes tiraillés par la peine et le chagrin et ils nous font l’offrande d’un album lent traité dans un death/doom métal particulièrement obscur.
La première fois que l’on écoute Pylnyi Vladyka on ressent le mal-être exprimé et saisissant des Russes. Les musiciens jouent sur un rythme lourd avec des riffs mélancoliques prenant possession de chacun des morceaux de l’album. Cet opus met en valeur les sentiments de désespoir, de hargne et de douleur par de grands ponts instrumentaux. En effet, Pylnyi Vladyka est essentiellement instrumental, les chants sont rarement présents. L'album commence avec une intro jouée au piano, et pas moins de deux interludes intégralement composées sur guitare sèche coupent l'album en trois morceaux (« Etude #1 » et « Etude #2 »). Cependant, lorsque le morceau contient du chant, celui-ci est très disséminé et est relayé au second plan. Pourtant Alexander "Slepoi" Zernov propose un chant qui oscille entre un chant clair et un autre growlé. Malgré le fait que l'interprète s'exprime qu'en russe, on comprend parfaitement les afflux d'émotion jouant sur un ton pessimiste et désespéré.
Les compositeurs ont clairement choisi de mettre en avant les lignes mélodiques. Les titres sont d'une longueur moyenne de cinq minutes laissant ainsi le temps aux musiciens de poser des lignes instrumentales avec des leads et des effets en tout genre. C'est simple avec Pylnyi Vladyka on a l'impression que c'est le printemps tellement les breaks y bourgeonnent. La lourdeur des morceaux est palpable et sur « Arcanar », les Russes finalisent l'album en mélangeant tous les ingrédients du doom/death : un rythme lent très saccadé, un growl puissamment ténébreux et des riffs à profusion. Roman "Carcass" Il'in et Andrei "Andrrr" Agapitov font vibrer leurs doigts habiles sur les cordes des guitares donnant la réplique à Felix Vigorov bassiste expérimenté et produisant des sons angoissants.
Si on a une base mélodique mise en évidence et que l'on a quasiment pas de chant que reste-t-il ?
La réponse se trouve dans l'expérimentation. En effet, « Ya Mog Byt Drugim » témoigne de la suprématie des claviers et d'autres titres comme « Bessonitsa » introduisent une grandeur symphonique avec le piano. Les parties instrumentales prennent de l'ampleur et les ponts instrumentaux se parent d'une qualité appréciable pour un style que trop bien prédéfini. La formation tente de ravir ses auditeurs en passant par les sentiments douloureux et j'avoue que les formes sont joliment présentées, mais hélas le cruel manque de leads vocaux n'est pas un choix forcément judicieux (osé, ambitieux peut-être mais pas judicieux). Personnellement, j'ai trouvé que cet opus à 40% dénué de chant manque de charisme et du coup les titres perdent de l'intérêt. La question identitaire est aussi bien présente étant donné que n'importe quel musicien un peu doué soit-il pourrait tout à fait rejouer ces morceaux sans que l'on s'en aperçoive. On ne reconnaît pas la patte de Arcanar à la seule écoute des parties mélodiques, le frontman manque à l'appel et la cohésion musicale prend un sacré coup dans les gencives.
Pour résumer, Pylnyi Vladyka est un album très atypique car même si le style s'inscrit dans un death/doom, les musiciens ont fait le pari de ne pas intégrer les chants comme on a l'habitude - s'en servant plus comme d'un appui que comme d'un instrument supplémentaire. L'album est d'une production plus que bonne pour un album épuré et aseptisé comme celui-ci. Mais hélas, il ne marquera pas les esprits dans le domaine si ce n'est que pour son originalité.
HD