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Être un génie comme l'est Ihsahn ne va pas sans s'accompagner de menus déboires. A vouloir trop créer, on prend toujours le risque de perdre son auditoire, et il semble que sur ce dernier opus le Maître ait un peu flirté avec la limite. Trop ? Voyons voir.

Tout commence pourtant assez traditionnellement : pour celui qui vénère Prometheus ou Eremita, Hiber, premier morceau de Das Seelenbrechen, ne dépare guère dans la discographie du norvégien. C'est extrême, puissant, on est bien sûr loin du black originel mais dans la lignée de ce qu'Ihsahn a inventé depuis deux albums, un black-jazz-prog, plus communément appelé avant-garde black metal. Le chant est crié, les cassures rythmique nombreuses et l'ambiance générale relativement oppressante. Il n'est pas le seul, cet Hiber, a présenter une certaine similitude avec des œuvres du passé. On peut y ajouter le majestueux (et magistral) Regen, dont les chœurs gigantesques forment un ensemble sublime, pesant, fatidique. Très travaillés, ces deux premiers morceaux s'enchaînent parfaitement avec le tubesque NaCl (chlorure de sodium), plus mélodique et entraînant. L'ensemble sonne comme du très bon Ihsahn, la barre est placée à des hauteurs Lavilleniennes, on se régale, naïfs que nous sommes.

Car nous sommes tombés, la gueule en avant, dans un piège savamment orchestré. Dès l'électro Pulse, on se doute que quelque chose ne tourne pas tout à fait rond. Qu'est-ce qui se passe, c'est mauvais ? Non bien sûr, loin de là. C'est devenu un peu moins prévisible, un peu moins convenu (pour autant qu'un truc génial puisse être convenu). Surgit Tacit 2, et là on comprend notre douleur.

Parce qu'en fait, voyez-vous, Das Seelenbrechen (rien que le titre, tiré de Nietszche, aurait dû nous mettre sur la voie) n'a rien d'un prolongement logique à After et Eremita. C'est un album expérimental, joué à deux, enregistré dans des conditions live, et qui contient un certain nombre de pièces complètement foutraques, orgasmiques, bordélique, oui, du free jazz. Avec une 8 cordes et une batterie, ça se fait sans problème, mais d'habitude pas chez Candlelight. Tacit 2, aucun rythme, aucune mélodie, c'est l'hommage de Tveitan à Metal Machine Music de Lou Reed. Hommage hein, pas plus, faudrait pas pousser mémé, à côté de l'album maudit du grand Lou cet enchaînement Tacit 2 – Tacit ressemble à une promenade au parc. Mais tout de même. Le voyage épileptique continue et les perles s'enfilent, dans un brouillard indescriptible. On retiendra le solo floydien de M, et le très flippant See, véritable bande-son de film d'horreur qui n'a besoin d'aucune image pour instiller délicatement (à coups de cris brutaux et de breaks alambiqués) une sensation de malaise glauque.

Le bilan de tout ça, c'est que je n'ai toujours pas compris cet album. Et je vais sans doute mettre dix ans à le faire, ou alors je n'y arriverai jamais. Il est excellent bien sûr, mais difficile à écouter, et cette fois ce ne sont pas des paroles en l'air. Il faudra vraiment se mettre dans les conditions idéales, au calme, avec un bon seize ans d'âge, pour ne serait-ce que tenter d'en saisir la substantifique moelle. Et je doute fort qu'elle puisse être saisie, car il ne semble pas que cela soit le projet de son créateur.

En effet, après avoir fait évoluer son black metal monolithique au fil des albums, Ihsahn a voulu avec cet album casser sa progression, changer ses méthodes de travail et d'écriture, et le résultat est franchement ébouriffant, et pour le moins il démontre à quel point cet homme est un grand. Mais il a volontairement décidé de ne pas entourer cette démarche créative d'un halo explicatif, comme le serait une notion de concept par exemple. Il ne fait aucun doute que le fait que les trois morceaux les plus faciles d'approche soient placés en début d'album n'est pas un hasard. S'il avait commencé son Seelenbrechen par Tacit 2, il y aurait eu de grandes chances pour qu'Ihsahn décourage bien des auditeurs. Il y a donc encore une certaine volonté chez le norvégien de rendre son art accessible, pas au plus grand nombre pour autant bien sûr, ça n'a jamais été son propos.

Pour conclure, ce que je comprends de cet album au final c'est qu'il n'y avait sans doute rien à comprendre. Ihsahn a voulu capturer une certaine spontanéité qui, il est vrai, n'est pas vraiment son point fort habituellement, et pour garantir l'honnêteté de sa démarche il nous a un peu pris par surprise. Il me reste tout de même, à l'écoute de Das Seelenbrechen, un goût d'inachevé, presque de précipitation. C'était sans doute l'objectif d'Ihsahn de provoquer cette réaction chez ses fans, et je ne peux que respecter le talent et l'intégrité du bonhomme. Mais personnellement, j'aurais préféré qu'il prenne plus de temps pour construire un projet plus abouti, qui aurait pu être tout aussi expérimental mais aurait semblé moins bancal, moins... improvisé. L'expérimentation oui, l'improvisation bof, voilà mon opinion.

0 Comments 23 mars 2014
Whysy

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