Vous recherchez quelque chose ?

In The Court Of The Crimson King, An Observation By King Crimson, c'est l'histoire du plus grand guitariste prog à ce jour, et dont je doute qu'il sera un jour égalé, Sa Majesté Robert Fripp. C'est aussi l'histoire du morceau le plus violent paru à l'époque,  et de la création des codes d'un style nouveau-né, le rock progressif. C'est enfin l'histoire de l'album prog ultime, l'album qui va les définir tous, et dans dans les ténèbres les lier.

En 1967, Robert Fripp, alors âgé d'une vingtaine d'années dont dix de pratique de la guitare, répond à une petite annonce des frères Giles, et ensemble ils vont réaliser  The Cheerful Insanity of Giles, Giles and Fripp, une collection de chansons baroques et délirantes, dans un style très anglais dont les Beatles étaient à l'époque les maîtres d'oeuvre. Malheureusement, c'est un four. Sans pour autant se décontenancer, et malgré le départ de Peter Giles, Fripp réunit alors sa dream-team personnelle, composée de membres d'anciens groupes ou de connaissances et d'amis, pour créer King Crimson. Autour de Fripp (guitares), on découvre Greg Lake (basse et chant), Michael Giles (batterie) et Ian McDonald (flûte, saxo et claviers). Le poète Peter Sinfield se charge des textes et du lightshow.



Après des concerts, des passages à la BBC et un séjour en studio, le groupe nommé King Crimson d'après l'oeuvre de Sinfield qui donne aussi son nom à l'album publie sa première œuvre le 10 octobre 1969. Et c'est une claque monumentale.

L'immense talent de ces cinq anglais est d'avoir su intégrer, digérer et retranscrire intelligemment tant d'influences diverses qu'il est très ardu de les citer avec précision, même si on sent bien qu'elles vont du free jazz à la musique contemporaine en passant par le rock et la pop. Plébiscité par ses pairs, l'album va également connaître une belle carrière commerciale puisqu'il atteindra la 5è place des charts britanniques, ce qui en dit long sur l'ouverture d'esprit de l'époque.

Ce qu'il y a de plus extraordinaire avec cet album c'est que le groupe semble vraiment avoir inventé un style de toutes pièces. Il ne ressemble à rien de ce qui avait été fait auparavant, et il sera une source d'inspiration majeure pendant des décennies. Que trouve-t-on sur In The Court Of The Crimson King ? Deux morceaux épiques et longs, deux ballades mélancoliques, une longue impro free jazz et un morceau dantesque, fusion entre le hard rock et le délire coltranien. Et une pochette légendaire bien sûr, au visage défiguré et aux yeux exorbités dans une monstruosité hideuse, réalisée par le regretté Barry Godber.



Cueilli à froid par la violence ahurissante des premières secondes de 21st Century Schizoid Man, l'impression d'étrangeté glauque et de violence schizophrène ne quitte pas l'auditeur, et ne lui laisse guère le temps de souffler. La voix saturée de Greg Lake, les saxophones stridents, la batterie épileptique et la basse sautillante de Giles, tout concourt à provoquer le malaise, à ne laisser personne s'endormir. Dissonances, stridences, le morceau le moins musical composé par un groupe de rock à l'époque est devenu un incontournable du prog, même si jamais pareille performance ne sera rééditée, surtout dans ce style. Les solos frénétiques s'enchaînent, les structures s'effilochent et semblent retrouver le droit chemin au dernier moment, lorsque d'une bordée magistrale Fripp fait rugir sa guitare pour relancer Lake pour le dernier couplet, qui se terminera dans un delirium tremens sonore apocalyptique.

Sans transition, la douce flûte de McDonald lance l'intro de I Talk To The Wind. Cette élégante bluette va permettre au groupe de déployer ses talents de douceur et de maîtrise. On découvre enfin la merveilleuse voix de Greg Lake, qui déclame dans un souffle éthéré les superbes vers de Sinfield. Fripp, à notre grande surprise, se fait très discret, et la basse joue à cache-cache avec la batterie tout en touché. Pour l'instant, c'est exact, on est plus dans la fusion et la ballade, et il faut attendre le puissant roulement de timbale pour que le prog naisse véritablement, avec l'immense pièce qu'est Epitaph.

Tout y est, et ce morceau qui clôt la première face du disque verra son écho dans In The Court Of The Crimson King, qui lui, terminera l'album. Guitare sèche et mellotron à outrance, puissant souffle épique et majesté grandiloquente, nul doute que les futurs grands compositeurs du prog vont s'inspirer de son intensité dramatique. C'est le plus vieux morceau de rock progressif (au sens propre du terme) qui soit : les structures s'imbriquent et évoluent, se répondant avec brio, toujours au service d'un thème principal et d'un refrain au ton inéluctable.

Confusion will be my epitaph.
As I crawl a cracked and broken path
If we make it we can all sit back and laugh.
But I fear tomorrow I'll be crying,
Yes I fear tomorrow I'll be crying.

L'interminable fade out, martelé de roulements de timbales et nappé de vagues de mellotron, clôt avec superbe cette chanson épique, tragique et fabuleuse.



Seule difficulté de cet album magistral, le morceau intitulé Moonchild, dont la première partie est une très belle comptine folk, mais dont la deuxième partie est longue impro free jazz, dont l'écoute complète peut sembler assez ardue. Et je ne vous cache pas que lorsque que j'écoutais cet album dans ma prime jeunesse, je n'y suis jamais arrivé. C'est une piste qui ne sera pas vraiment suivie par la plupart des groupes prog traditionnels, car résolument anti-commerciale , et réservée aux fans de Steve Reich. A contrario, ils s'engouffreront dans la brèche ouverte par Epitaph et In The Court Of The Crimson King, dont les découvertes deviendront bientôt des habitudes de production.

Dans le futur du prog, il sera beaucoup question de flûte, de clavecin, de moog et de mellotron, de changements de rythmes et de structures, de frénésie de notes et de textes dérangeants. On y entendra beaucoup d'arpèges de guitare secondés par les claviers, beaucoup de morceaux dépassant allègrement les sept ou huit minutes, et beaucoup de choeurs aux accents tragiques. Une seule chose manque encore à l'appel : les solos de claviers, qui deviendront la marque de Wakeman et consorts. Le prog va devenir quelque chose qu'il n'était pas vraiment avec ce premier album, une musique à solos aux antipodes de Cream et jouée par des virtuoses.

Sur In The Court Of The Crimson King, tout est question d'ambiances et de textures, et pas encore de maestria individuelle. A ce titre, on peut le qualifier d'album définitif du prog, dans le sens où, à l'instar de rares autres exemples, il n'en connaît aucun des travers, récurrents par la suite.

Après cette première œuvre devenue majeure, le groupe implosera et se réunira à divers moments, le seul point central et commun restant Robert Fripp. A signaler, l'excellent In The Wake Of Poseidon (1970), sorte de duplicata du précédent, et le miraculeux Red (1974), enregistré en trio avec Fripp, Bill Bruford (ex-Yes) et John Wetton (futur Asia, Uriah Heep et Roxy Music). Par la suite, toujours articulé autour de Fripp, King Crimson continuera une carrière inégale et inégalée, avec notamment les très bons VROOOM (1994) et The Power To Believe (2003).

0 Comments 19 juin 2012
Whysy

Whysy

Read more posts by this author.

 
Comments powered by Disqus