Grand mal m’a pris de vouloir chroniquer cet album en fait, ne sachant pas comment rendre compte de sa grandeur. Car en effet, je le dis d’emblée, on a ici un album extraordinaire, auquel je n’avais même pas rêvé tant il s’avère être un monument. D’ailleurs, sans ambiguïté, il s’agit pour moi d’ores et déjà de l’album de l’année 2008. Très tôt diront certains, je le reconnais, c’est vrai, mais il faut dire que je vois mal quel album pourrait le supplanter.
De manière à l’introduire, sachez que cet IrremeDIABLE est le neuvième album du groupe Misanthrope, groupe français assez réputé dans le milieu du Métal extrême. Il ne s’agit donc pas d’un premier essai brouillon, l’expérience et le talent ça se travaille, s’accumule, s’accroît et cela se perçoit très nettement ici. S’il s’agit de leur neuvième album, il s’agit toutefois de leur premier concept-album. Encore un direz-vous ? Encore un traitant de la psychologie humaine, des maux de la société, du monde ou que sais-je ?
Et bien non, Misanthrope nous emmène dans le monde de Baudelaire, Charles Pierre Baudelaire (1821-1867), poète français qu’il n’est pas besoin de présenter. Le temps rentre sûrement en ligne de compte : en 1857 paraît Les Fleurs du Mal, recueil de poème controversé, et 2007, c’est l’année de la composition de cet IrremeDIABLE. Ainsi il y a 150 ans de Baudelaire à Misanthrope, 150 ans d’une œuvre majeure à une autre œuvre majeure, qui y rend entre autres hommage. Mais place aux mots de S.A.S de l’Argilière, chanteur du groupe :
« Mais que reste-t-il, à nous humbles érudits, des cendres de l’œuvre que Charles Baudelaire nous a transmise ? Sommes-nous bien étranges pour ne pas avoir déjà reçu une alarmante prise de conscience des réalités cruelles et modernes des prophéties Baudelairiennes? Le spectre de sa plume est plus que jamais indélébile par le tracé de ses strophes divines. [...] Il est temps de proposer à nos semblables un devoir de mémoire. Le bonheur vital qui équilibre notre vie est irrémédiablement issu des coutumes et de notre passé. Grâce à ces hommes qui ont fait notre Histoire…qui tout simplement ont su faire évoluer l’Art. »
Je ne parlerai pas plus ici du concept, car se serait bien long tant il est travaillé et tant il y a donc à dire. En revanche, je vous renvoie à l’interview présente sur le site du groupe, où il est question en détails de ce concept.
Que serait un concept sans base musicale digne de ce nom ? Il tomberait sûrement à l’eau, et nombre en ont déjà fait les frais. Alors de ce côté-là Misanthrope assure parfaitement, le rôle est plus que rempli, et ce n’est pas la production qui viendra se mettre en travers. Car s’il est aussi une force dans cet album, il s’agit bien de la production. Il a été enregistré aux Studios Davout, un des mieux équipés de France, et cela se ressent, nous n’avons pas à rougir des studios scandinaves ou allemands, loin de là dans ce cas précis.
Mais encore une fois, une bonne production n’est rien s’il n’y a pas derrière des compositions à défendre, forts albums sonnent creux ou ont une durée de vie considérablement réduite. Mais là encore il n’en est rien, Misanthrope nous sert 15 compositions, le tout pour 1h10. Les 15 sont soignées, travaillées, et révèlent cette expérience et ce talent dont je parlais.
L’ensemble est varié, assez hétérogène sans s’éparpiller, des morceaux viennent détendre l’atmosphère, que ce soit le magnifique piano de Prodigalité ou le planant d’un Plaisirs Saphiques. Mais même à l’intérieur des morceaux, vous pouvez retrouver des alternances, de nombreux breaks qui surprennent joliment et permettent de bien digérer l’album. Car 1h10 n’est-ce pas trop ? N’étant pas trop adepte d’albums trop longs, je dois avouer que là l’album se laisse écouter dans sa totalité sans même regarder l’heure, preuve s’il en est d’un grand talent.
Car du talent il en est question d’un bout à l’autre, et de tous les musiciens, je dis bien tous. Je commence par le bassiste, Jean-Jacques Moréac, car il s’agit là tout personnellement d’un gros coup de cœur. Jamais, oui jamais je n’ai entendu une basse tant mise en avant, et il faut dire que vu le brio d’exécution du bassiste (un des meilleurs mondiaux ?), cela n’en est que plus jouissif. Amateurs de basse ronflante de technique et de beauté, c’est pour vous, et pour tous. A vrai dire je peux affirmer que la basse est sur le même piédestal ici que la guitare.
Car s’il n’a pas le principal rôle, le guitariste Anthony Scemana ne reste toutefois pas dans l’ombre, et son talent s’exprime aussi grandement. Il fait preuve d’une amplitude conséquente, que ce soit dans des riffs détonants (L’Infinie Violence des Abîmes), mélodiques et entraînants (Le Dandy de Bohème), ou dans des solos tous simplement grandioses. Et bien entendu, le duel guitare/basse s’exécute parfois pour le plus grand bonheur des oreilles, tel sur Le Dandy de Bohème.
Quant à la batterie, dont s’occupe Gaël Féret, on doit avouer que c’est proche de la perfection. Proche seulement car oui, il est vrai qu’au niveau de la production, le son de la batterie apparaît parfois un peu comme « bizarre ». Pour ma part cela ne me gêne en rien, mais je peux comprendre que ça heurte certains. Mais il n’empêche que le dynamisme, la précision (Névrose), la rythmique, en puissance comme en technique, les deux ensemble même, tout est bien présent.
Enfin, il reste le chant, entièrement en français ici, ce qui est plutôt bien pensé, car les morceaux anglicisés de l’album précédent (Métal Hurlant) sonnent plutôt aléatoires. Langue de Molière uniquement donc ici, normal pour des passionnés du dramaturge. S.A.S de l’Argilière fait preuve d’un grand registre, alternant entre chant bien gras, grunts, plaintes, parlé (LXXXIV L’IrréméDIABLE, poème de Baudelaire mis en musique). Il défend très bien ses paroles, même s’il faut plusieurs écoutes (et parfois le livret) pour bien tout comprendre. On atteint avec lui le point le plus controversé de l’album (et même du groupe). Nombreux sont ceux chez qui son chant (sa personnalité aussi souvent) ne passe pas. Il faut avouer qu’il est particulier, je mets cela sur le compte de l’originalité (je ne connais pas d’autres chants similaires), après, on aime ou pas son interprétation.
En conclusion, que vous dire de plus ? J’ai vraiment eu une révélation avec cet album, par lequel je découvre le groupe d’ailleurs, et j’ai au mieux essayé de vous donner envie d’y donner sa chance. Si j’ai été peu objectif, je l’admets, cet album n’en reste pas moins un coup de maître. Par une excellente alchimie entre concept, production, composition et exécution, Misanthrope sort un album qui restera gravé dans les mémoires, en tant que monument, telle une œuvre de Baudelaire. Celui-ci n’était-il pas d’ailleurs controversé en son temps ?
P.S. : Si vous voulez vous le procurer, je ne peux que vous conseiller fortement l’édition limitée, un véritable chef-d’œuvre à elle seule, bien fournie qui plus est, avec un assez bon DVD par exemple.
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