Les presque-basques-espagnols de Diabulus in Musica ont eu un début de carrière fulgurant. Malgré le petit temps de latence entre la création du groupe (2006) et la sortie de leur premier album Secrets (2010), tout ce qui a suivi n’a été que positif. Ils ont su se fabriquer une constellation de collaborateurs influents et professionnels (Sasha Paeth et Ad Sluitjers pour ne choisir qu’eux), et d’artistes qualifiés. Secrets feature ainsi un tenor, les membres du groupe Elfenthal, un chœur, et plusieurs membres du London Philarmonic Orchestra. Le groupe a même rapidement tourné avec de grands noms, de Theatre of Tragedy à Arch Enemy, en passant par Epica et Sabaton. En d’autres termes, tous les outils pour fabriquer un succès. Et effectivement, ce Secrets est impeccable. Chaque instrument y trouve sa place (ou presque, mais j’y reviendrai), la production est digne des plus grandes labels, la thématique visuelle est soignée ... Bref, le package est attractif. Qu’en est-il de la musique du combo ? L’album commence avec Renaissance, introduction calme aux violons, sur laquelle on enchaîne directement avec Come to Paradise, sur des chœurs agressifs, une rythmique rapide, vite remplacés par le chant de Zuberoa Aznárez et les cris parfois approximatifs de Gorka Elso. Au premier abord, rien de remarquable : les rythmiques, le chant et les orchestrations rappeleront de nombreux autres groupes officiant sur le même segment. En quoi les espagnols se démarquent-ils alors ? Principalement sur deux points, qui les aideront à se fabriquer une identité : d’abord le clavier, aux sonorités particulières, rappelant peut-être les années 80 (les premières notes de New Era) ; ensuite les chœurs, omniprésents, et toujours réussis. On pourrait également parler plus longuement de la voix de Zuberoa. Elle révèle, tout au long de l’album, ses facettes : plus opératique dans Evolution’s Whim ou the Forest of Ashes, sensuelle dans les graves dans Ishtar, plus nasale dans les aigus de Lies in your Eyes. La chanteuse sait alterner ses différents types de chant avec une maîtrise constante. Elle a même parfois un léger accent des plus agréables. Son homologue masculin en revanche aurait pu s’abstenir. Les premiers cris de Beyond Infinity sont à la limite de la caricature, et pourtant ce ne sont pas les plus ratés de l’album (suivez maintenant mon regard vers l’orientalisante Ishtar et vers St Michael’s Nightmare). En plus de n’être pas très qualitatifs, ils semblent parfois plaqués par dessus la musique, surprenant pour le niveau de production. L’autre faiblesse de cet album, c’est son aspect ultra formaté pour le succès. Un peu de chant féminin, un peu de hurlements, les chansons indispensable de tout album du genre (l’orientale donc, la ballade piano / voix Lonely Soul dégoulinante à souhait, l’intermède the Seventh Gate, le single ultra catchy New Era, et la piste d’introduction rentre-dedans Come to Paradise et son intro ...) sont donc de rigueur. Et jusque là, ça pourrait ne pas être dérangeant, du moment que c’est bien fait (et il faut leur reconnaître cette qualité). Seulement, quand on commence à mettre en retrait (ou carrément à faire disparaître) les guitares, je m’insurge. À part en rythmique, où sont les guitares dans la mid-tempo Under the Shadow (of a Butterfly) ? Dans Nocturnal Flowers ? Faut-il vraiment rappeler que les guitares sont l’un des instruments fondateurs du metal, fut-il symphonique ? Heureusement, certains morceaux n’ont pas oublié ce « détail » : après une Come to Paradise prometteuse, Lies in Your Eyes met ENFIN en avant les cordes, St Michael’s Nightmare lui laisse quelques passages intéressants. Sinon, il faudra se satisfaire des autres instruments. Heureusement, la batterie elle n’est jamais sous-mixée, et permet d’ajouter du punch à une musique qui pourrait autrement être molle. Lies in Your Eyes, en plus d’être la plus gâtée en guitares (dont un solo rappelant presque Therion), dispose d’un refrain aérien, où les chœurs et le violon explosent, pour un résultat vraiment réussi. Les quelques longueurs de l’album pourraient certainement être évitées avec un peu plus de guitares : The Forest of Ashes par exemple, malgré une atmosphère mystérieuse intéressante, soutenue par des chœurs puissants, et des chuchotements caverneux n’arrive pas à passioner pendant plus de six minutes. Under the Shadow (of a Butterfly) et Nocturnal Flowers (assez répétitive de surcroit) souffrent du même problème. Malgré l’absence chronique de guitare, certaines pistes arrivent à bien tirer leur épingle du jeu. Beyond Infinity par exemple se contente d’effets sonores futuristes, d’un clavier omniprésent, et d’une batterie hyperagressive pour être efficace. On est dans le domaine de l’angoissant, du théâtral, le tout sur fond d’interrogations existentielles. New Era se passe aussi de guitares, sauf rythmiques, ou dans un micro solo, et pourtant, elle est entraînante, puissante, principalement grâce aux chœurs, qui constituent décidément la grande force de ce Secrets. Enfin, Evolution’s Whim est un hymne dont les paroles rappelleront les grandes causes d’Epica, où la batterie se fait martiale, et le chant plus solennel. Ces trois morceaux montrent que Diabulus in Musica peut se faire incisif en évitant le shred ; Lies in Your Eyes montre que c’est pourtant dans leurs cordes. On appréciera à l’avenir plus de prises de risques, et une affirmation de leur style. De manière générale, l’album est la réussite pour laquelle il a été formaté. La suite (avec la signature chez Napalm Records, la conquête de nouvelles scènes ...) nous a montré qu’il avait bien trouvé son public.
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