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Reprenons, pour votre plaisir je n’en doute pas, le débat que j’avais lancé avec Thomas Zwijsen. Et c’est vrai que c’est une question franchement intéressante : un album peut-il être chiant comme la mort et de bonne qualité en même temps ?  Sincèrement je pense que oui. S’il vous fait chier, vous aurez du mal à passer un bon moment, tout simplement. Vous pourrez toujours admettre le talent, reconnaître l’exceptionnel courage de la démarche, la qualité intrinsèque des morceaux, de l’interprétation, mais ça va vous saouler quand même. J’essaie, chaque année, de pénétrer l’œuvre de Lou Reed (hormis Transformer, évidemment, qui est de celles qui se pénètrent relativement aisément), ainsi que celle de Bowie. Je me coltine donc, régulièrement, Berlin, The Velvet Undeground & Nico, Aladdin Sane ou Diamond Dogs. Et puis Low aussi, et Heroes, pour la jouer exhaustif, et parfois même, Metal Machine Music.  Et depuis quinze ans c’est le même constat : oui je vois ce qui plait, je comprends en quoi c’est génial, mais bordel, je m’ennuie ! Une fois que vous avez réussi à exécuter cette opération sur vous-même, et que vous vous mettez à considérer la musique dans ce sens, tout devient plus clair : vous acceptez la nullité de Kiss et le plaisir que vous procure A World Without Heroes, de même que vous reconnaissez la qualité de Ritual (Nous sommes du Soleil) tout en refusant de vous en avaler les plus de vingt minutes.  Seulement, y a un hic. Ca veut dire qu’il devient plus complexe de faire confiance à ses premières impressions, à ses sentiments de base. Vous aller passer à côté d’un truc génial si vous vous dites, après une première écoute, que ce n’est même pas la pleine de persévérer. Mais d’un autre côté, et c’est là que ça devient marrant : est-ce que ça veut dire que tout ce qui est chiant l’est parce que vous ne l’avez pas encore compris ?  Hein, avouez que sur ces trois premiers paragraphes je vous avais un peu perdus, mais là vous revenez. Imaginons que je m’empare d’un album, au hasard Riverside, Shrine Of A New Generation Slaves, et que je l’écoute, lançant les premiers morceaux avec confiance, espoir, un cœur pur et intègre. Sans en être pour autant fort marri, la première sensation qui s’impose à moi est une envie assez forte de continuer ma partie d’Angry Birds, concentré à mort sur ce que je fais, et puis spontanément me saisit le désir d’un bon petit épisode de 3615 USUL sur les consoles de salon, et là, soudain, je me rend compte que j’ai coupé au bout du troisième morceau, sans me rappeler des précédents. Oui, vous l’avez compris, ça m’a fait chier. Donc c’est qu’il est génial cet album, c’est ça ? Parce que bon, ailleurs y a des bonnes critiques, et puis c’est de la musique complexe, progressive, ça ne peut être que bien, si je n’aime pas c’est que je suis (mauvaise foi inside) particulièrement obtus.  Ben en fait non, c’est juste que c’était pas terrible, et même assez chiant.  Le premier morceau/intro/prologue/machin, est totalement raté, inécoutable et sans intérêt aucun. C’est brutal, c’est vrai, mais vu que le reste sonne comme les Beatles à mes oreilles à côté de cette première bouse, je ne peux que m’interroger : mais pourquoi, why ? C’est quoi cette idée foireuse de mettre le plus mauvais morceau en premier ? Pour que les dernières personnes qui l’écoutent à la Fnac avec peut-être l’intention miraculeuse d’acheter le CD (oui je sais on dirait de la SF bas de gamme) s’arrêtent immédiatement, découragées par tant de mauvaise volonté ? Parce qu’en fait, par la suite, si c’est moins mauvais, ça n’en devient pas exceptionnellement plus intéressant, mais au moins c’est écoutable.  On a en deux une ballade sirupeuse, en trois du pseudo hard-prog, en quatre une ballade sirupeuse, en cinq du sous-Keane (qui laisse à de brefs moments espérer une éclaircie) et soudain, en sixième position, apparaît, devant nos yeux ébaubis (oui je sais, mais c’est toujours de musique que l’on parle), le riff d’intro de Deprived [Irretrievably Lost Imagination].  On comprend alors que les cinq premiers morceaux c’étaient les cousins maléfiques, ou sorte d’evil twins de Riverside, parce qu’il me parait franchement dur à croire que ces cinq morceaux alternativement chiants et pompeux aient les mêmes géniteurs que ce magnifique Deprived, lent, mélancolique, planant, bien produit, et prog comme on aime, avec des petites touches légèrement électro, une deuxième partie et un deuxième riff encore meilleur, bref, un putain de miracle. Je serais incapable de vous dire ce qui s’est passé, c’était vraiment nul depuis le début, et en un morceau c’est devenu génial. J’ai pas l’impression qu’ils m’ont eu à l’usure, parce qu’évidemment, après avoir entendu ça, j’ai immédiatement réécouté le début de l’album, et non, pas de miracle, c’était toujours aussi foireux. Quel riff (ou arpège plutôt) mes amis, et puis superbe solo de sax ténor, non vraiment, Deprived [truc péteux entre crochets], à ne pas manquer.  Vous imaginez mon excitation alors, que va-t-il se passer pour les deux morceaux restants, une longue plage de douze minutes et le bien nommé Coda, qui clôt l’album en moins de deux minutes ? Riverside va-t-il à nouveau laisser la place à son backing band, ou le miracle est-il sur le point de se prolonger ?  Réjouissez-vous mes amis, il se prolonge, et de fort belle manière. Escalator Shrine est magnifique, rappelant les meilleures heures de Pink Floyd, tout en ambiances lumineuses, plein d’une intelligence qui manquait si douloureusement jusque là. Et même le court Coda excelle là ou le groupe avait échoué lamentablement auparavant : simplicité, beauté, une forme de candeur très agréable à l’écoute. Les polonais haussent très nettement le niveau sur ces trois derniers morceaux.  Vient donc le moment difficile où m’échoit la tâche de juger l’album dans son ensemble : sur la cinquantaine de minutes que compte l’album, trente sont à jeter, et vingt sont géniales. Que faire ? Eh bien je vais rester neutre, accorder un 5 à l’album, sans oublier de vous préciser de ne surtout pas passer à côté des deux pièces majeures que sont Deprived [en mode running gag] et Escalator Shrine. Noyées au cœur d’un océan de nullité, placées stupidement en fin d’album, elles passeront inaperçues pour peu que vous vous soyez fiés au niveau très moyen du début de l’album.  C’est ainsi que Shrine Of A New Generation, des polonais de Riverside, ne donne aucune réponse satisfaisante à ce débat lancé en début de chronique : on peut se faire chier longtemps sur un même album, accrocher des perles ça et là, mais dans l’ensemble, il me parait difficile d’accorder un blanc-seing à un album aussi déséquilibré. On s’ennuyait, et on avait raison puisque c’était mauvais, mais il fallait persévérer et aller au bout du truc. Dur. Mais parce que je suis quelqu’un de magnanime, et que je l’ai fait pour vous, je peux vous le dire texto : ce ne sera pas nécessaire d’en faire autant pour Metal Machine Music.

0 Comments 25 janvier 2013
Whysy

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