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Lorsque l'album Tubular Bells paraît le 25 mai 1973, Mike Oldfield a 20 ans depuis dix jours, et Richard Branson est sur le point de fêter ses 23, un mois plus tard. L'histoire de cet album et du début de carrière d'Oldfield est indissociable de celle du tout jeune label Virgin, dont Tubular Bells sera la première sortie et le premier succès : il s'en est vendu plus de quinze millions de copies à ce jour, il est resté 279 semaines dans les charts britanniques et a rapporté à son créateur un Grammy Award en 1975. Ce succès majeur est également dû à l'utilisation de son thème principal dans le film culte l'Exorciste de William Friedkin, sorti la même année.

Le jeune Mike Oldfield se lance très tôt dans le rock-business, florissant à cette époque : il forme un duo folk avec sa sœur Sally à la fin des sixties, joue dans le groupe de Kevin Ayers (chanteur de Soft Machine), et commence à composer des pièces instrumentales, destinées à former la trame du futur Tubular Bells. Il tente de vendre son projet à plusieurs maisons de disques, essuie autant de refus, jusqu'à rencontrer Richard Branson qui, même s'il n'était pas encore le magnat que l'on connaît aujourd'hui, avait déjà déjà assez de fonds pour lancer son propre label ainsi que son studio d'enregistrement, le fameux Manor Studio.



A l'automne 72, Branson donne à Oldfield une semaine pour enregistrer la première partie de Tubular Bells : le résultat est étourdissant et convainc le tycoon de laisser quelque mois au jeune prodige pour enregistrer la suite et peaufiner l'ensemble.

Sur Tubular Bells, Oldfield joue à peu près de tous les instruments, dont voici la liste, une liste située au dos de la pochette du vinyle et qui m'a fasciné pendant de très longues années : guitares acoustiques, espagnoles, fuzz et électrique, mandoline, basse, piano, honkytonk piano, farfisa, orgues Hammond et Lowry, et des percussions en tous genres (glockenspiel, timbales, et bien évidemment les fameuses cloches d'orchestre ou carillon tubulaire, « tubular bells » en anglais). Quelques musiciens additionnels viendront enregistrer des parties de contrebasse, des voix et de la flûte.



Cette liste assez impressionnante ne serait que poudre aux yeux si tous ces instruments ne s'emboîtaient pas au cœur d'une mécanique bien huilée, une véritable composition musicale, dont Oldfield est le maître d'oeuvre. Avec Tubular Bells on atteint encore un degré supérieur, un paroxysme dans la complexité de la création musicale de l'époque : rappelez-vous de mon article introductif à cette saga, où je vous expliquais que le rock progressif était une musique d'intellos, on est en plein dedans.

Alors oui, c'est certain, les fans du Velvet Underground doivent détester Tubular Bells sans doute, d'ailleurs je suis fan de Mike Oldfield et j'ai du mal avec le Velvet, ceci expliquant peut-être cela. Ce n'est pas une musique d'autodidacte, même si elle ne manque pas de moments énergiques joués avec les tripes ( le passage proto-death du milieu de la deuxième partie), mais bien une musique construite, parfois à l'extrême, malgré une exécution qui n'est pas toujours ultra-technique.



C'est ainsi qu'est le paradoxe Oldfield : le mec, très bon guitariste, n'est pas Steve Howe pour autant, et ce n'est pas que ses créations soient difficiles à jouer mais bien qu'elles sont très compliquéeset répétitives, et donc, parfois, difficile à écouter. Oui, il faut du courage pour écouter Tubular Bells en entier sans être déjà fan de ce style ou de ce compositeur, et comme il n'y a que deux morceaux de 25 minutes, il faut les écouter d'une traite ! Je vais pourtant tenter de vous faciliter la tâche.

On peut découper Tubular bells Part One en deux grandes parties : les variations autour du thème principal, qui évolue nettement mais dont on sent quand même, de temps à autres, une réminiscence, et qui durent une quinzaine de minutes, et pour les dix minutes restantes un nouveau thème, qui sera amené après un long moment de répétition d'un autre mini-thème, dans le plus pur style Oldfield.

Le premier thème, célèbrissime par son utilisation dans l'Exorciste notamment mais aussi par sa virtuosité magistrale, ainsi que les variations qui en découlent, constituent incontestablement le meilleur de Tubular Bells. Mélopée inquiétante, le gimmick de piano est repris et embelli, ponctué d'arpèges et de contre-chants, et rythmé par des frappes sonores, parfois ralenti et parfois doublé d'une deuxième mélodie, le rendant alternativement épique et mélancolique.

Lorsque ce thème est rejoint par les orgues et les guitares électriques, sa beauté devient purement transcendantale, et pendant un bref instant on tutoie des sommets rarement égalés dans l'histoire du prog. Le reste est à l'avenant, et les amoureux de mélodies peuvent se plonger avec délice dans cette première partie, d'une splendeur éternelle, parfois légère, souvent tragique, et dont l'influence sur tant de styles par la suite sera prépondérante.



La Part Two ressemble plus à du classic Oldfield, et annonce déjà les superbes et longs développements de la trilogie magique réalisée par le jeune anglais entre 1973 et 1975 : Tubular Bells, Hergest Ridge et Ommadawn. Les sections sont plus longues, les évolutions plus lentes et répétitives, et on se situe dans une mouvance prog/psyché/new-age/krautrock, mouvance aux nombreux visages mais qui pourrait contenir à la fois des œuvres de Soft Machine, Robert Wyatt, Mike Oldfield ou encore Kraftwerk, Eloy et Klaus Schulze.

Après ces trois albums légendaires, et très similaires dans leur construction et dans leurs réalisations sonores, mélodiques et rythmiques, Mike Oldfield va encore réaliser un opus à peu près prog, Incantations, et puis doucement sombrer dans le new-age et l'electronica redondante, réutilisant ses vieilles recettes sans succès, comme s'il avait perdu son mojo. On retiendra de cette deuxième partie de carrière les tubes Moonlight Shadow et Get To France, mais l'essentiel et surtout le meilleur d'Oldfield se trouve vraiment dans ces trois albums.



En guise de conclusion, je vous invite à écouter, dans Tubular Bells Part One, le court développement de guitares folk, à la 17ème minute de la première face. Précédé d'un tocsin funèbre, cette brève évolution harmonique est la quintessence du talent de Mike Oldfield : en moins d'une minute, avec deux guitares, il nous fait toute la démonstration de son exceptionnelle maturité et de la qualité de sa composition, tout en restant abordable, utilisant une technique simple mais efficace.

Simplicité, beauté et variété des arrangements et des mélodies sont les valeurs grâce auxquelles Mike Oldfield a pu, dans cette courte période, enregistrer trois albums importants et dont l'un est une des pierres angulaires du rock progressif. Malheureusement, il s'en écartera par la suite, même si, pour lui rendre justice, on ne peut pas ne pas signaler que bien évidemment il n'était plus question, au début des années 1980, de produire un album de la même façon et avec les mêmes techniques qu'en 1972. Il faudra attendre le milieu des années 1990 et le grand revival classic-prog pour voir refleurir ce son « à l'ancienne ».

0 Comments 15 juillet 2012
Whysy

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